Contrat indépendant 1 – Contrat de travail 0 : L’actu du cabinet CLEO en matière de requalification de contrats
Le cabinet Cleo Avocats vient d’obtenir deux arrêts d’appel faisant échec à des demandes de requalification de contrat de prestation de services en contrat de travail. Nous vous en disons plus.
Le contrat de travail est un contrat par lequel une personne s’engage à travailler sous un lien de subordination juridique pour une autre personne en contrepartie du versement d’une rémunération. Autre caractéristique essentielle, le contrat de travail existe dès lors que ces trois critères sont qualifiés, peu importe qu’il soit verbal. C’est le principe de réalité du contrat de travail qui permet au juge de requalifier un contrat en contrat de travail, afin de faire bénéficier le travailleur de l’ensemble des règles protectrices du code du travail et, le cas échéant d’une convention collective de branche et/ou d’entreprise. La requalification a en outre des incidences sociales et fiscales, les revenus de l’activité concernée devant être traités comme des salaires (cotisations sociales, impôt sur le revenu, etc.).
Cour d’appel de Rennes, 7 octobre 2022, n° 426, RG 19/04694, 8ème chambre sociale
Dans cette affaire, un graphiste designer a contribué à la création d’une société. Dès le départ, le travailleur a manifesté sa volonté d’être indépendant, excluant notamment la qualité d’associé. Un contrat de prestations de services a donc été signé entre le travailleur et la société. Puis, compte tenu de l’implication du travailleur sur la durée, la signature d’un contrat de travail lui avait été proposée, à deux reprises. Un première fois, le travailleur a refusé au motif qu’il souhaitait garder son indépendance. La seconde fois, quelques années plus tard, il refusait au motif d’une clause de non-concurrence.
La relation contractuelle s’est par la suite dégradée, pour cause, le travailleur refusait de livrer un certain nombre de travaux et de respecter des délais. Cela a conduit à la rupture des relations contractuelles. C’est ainsi que le travailleur a saisi le conseil de prud’hommes de Nantes afin de voir requalifier son contrat de prestation de service en contrat de travail à temps plein en qualité de directeur de création depuis le démarrage, soit sur une durée d’environ six ans.
Le conseil de prud’hommes a accueilli les demandes mais, par un arrêt du 7 octobre 2022, la cour d’appel de Rennes a infirmé.
En faveur du contrat de prestation de services, la cour a en particulier retenu les critères suivants :
- Immatriculation du travailleur au RCS : l’article L. 8221-6 du code du travail pose une présomption de non-salariat dès lors que le travailleur est inscrit au RCS. Cette présomption peut être renversée s’il démontre l’existence d’un lien de subordination juridique permanente ;
- Absence de pouvoir de contrôle et de direction sur la réalisation des prestations, confirmant une indépendance technique et intellectuelle du prestataire ainsi que son autonomie ;
- Absence de mise en œuvre d’un pouvoir disciplinaire.
Cette décision est conforme à la jurisprudence constante en la matière, mais néanmoins hautement casuistique. Elle offre donc une nouvelle illustration du poids de chaque critère qualifiant le lien de subordination.
Cour d’appel de Paris, 9 novembre 2022, RG 19/02922, Pole 6 chambre 9
En l’espèce, un agent immobilier indépendant a conclu un contrat de travail écrit avec un agence immobilière à compter du 1er mai 2016. Avant cet engagement, il était en relation avec l’agence, pour divers sujets, sans contrat écrit.
Quelque temps après le démarrage de la relation salariée, l’employeur fut défaillant dans le versement des salaires en raison de graves difficultés financières, ce qui a conduit le salarié à saisir le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Mais à cette occasion, le salarié a prétendu qu’il était en réalité lié par un contrat de travail depuis le 1er septembre 2014 et demandait aux juges de le reconnaître, avec toutes les conséquences de droit.
Contrairement aux premiers juges, la cour d’appel de Paris a considéré que ce travailleur n’était pas lié par un contrat de travail sur la période non couverte par un contrat écrit, du 1er septembre 2014 au 1er mai 2016. Après avoir rappelé que : « En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d’en rapporter la preuve », la cour a recherché l’existence d’un lien de subordination entre les parties.
Pour justifier de l’absence d’un tel lien, la cour a retenu les critères suivants :
- Les demandes de la gérante de l’agence relevaient davantage de services ponctuels et amicaux, sans rapport avec les missions d’un négociateur immobilier ;
- Les tableaux de relevés de transactions immobilières communiqués par le travailleur n’étaient pas recoupés par des annonces immobilières ou des mandats émis de façon certaine par l’agence immobilière ;
- Le nombre restreint de communications écrites sur la période considérée à savoir trois messages sur presque deux ans ;
- Le profil LinkedIn du travailleur mentionnant qu’il a intégré l’agence à compter du contrat de travail écrit et qu’auparavant il était « expert immobilier indépendant » ;
- Des échanges précédant la conclusion du contrat de travail écrit faisant allusion à « une collaboration non nécessairement salariée », ce qui confortait l’idée que si les parties s’accordaient sur un contrat de travail, il serait forcément écrit ;
Cet arrêt de la cour d’appel de Paris rappelle ainsi que la charge de la preuve en matière de qualification de contrat de travail pèse sur le travailleur qui s’en prévaut.
Les juges du fond ont par ailleurs été fidèles à la méthode du faisceau d’indices pour scruter la réalité de la relation entre le travailleur et cette entreprise, faisant ressortir, en l’espèce, une absence de lien de subordination.