Inégalité salariale entre hommes et femmes : une belle évolution s'agissant de la preuve
La newsletter féministe “Les Glorieuses” a mené une étude s’agissant des inégalités de genres rencontrées au sein des entreprises françaises : les femmes gagnent en moyenne 15,8 % de moins que les hommes. Ce qui reviendrait, selon leurs calculs, à considérer qu’à partir du 4 novembre à 9h10, les femmes si elles étaient payées au même taux horaire que les hommes, pourraient s’arrêter de travailler !
Mais alors quelle preuve rapporter au juge afin que cette discrimination soit sanctionnée ?
La cour de cassation confirme sa jurisprudence dans une décision du 8 mars 2023, date hommage s’agissant d’un contentieux sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes.
En l’espèce, une salariée engagée en qualité de structureur a évolué aux postes de chief operating officer puis de directrice de filiale (Groupe Exane, secteur bancaire). A la suite de son licenciement, la salariée a fait valoir qu’elle avait subi une inégalité salariale par rapport à ses collègues masculins.
La salariée a saisi la formation de référé de la juridiction prud’homale sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile afin d’obtenir la communication d’éléments de comparaison détenus par l’employeur, à savoir des bulletins de salaire de collègues masculins nommément identifiés.
Pour mémoire, l’article 145 du CPC dispose : « S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. ».
Cet article constitue un fondement essentiel en matière d’administration de la preuve.
La cour d’appel de Paris a fait droit à cette demande tout en ordonnant l’occultation des données personnelles à l’exception des noms, prénoms, classification conventionnelle, rémunération mensuelle détaillée et rémunération brute totale cumulée par année civile.
L’employeur ne voulant apparemment pas déférer à cette communication de pièces, s’est pourvu en cassation, arguant que cela constituait une atteinte à la vie privée des salariés masculins en question.
Droit à la preuve pour défendre un intérêt légitime contre protection de la vie privée, tel était le conflit de principes fondamentaux que la haute juridiction devait résoudre.
Dans un premier temps, la Haute juridiction réaffirme qu’en application du règlement européen 2016/679, la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu. Cette protection doit être appréciée « par rapport à sa fonction dans la société et doit être mise en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité ».
Dans un deuxième temps, au visa de l’article 145 du code de procédure civile, des articles 6 et 8 de la CEDH, de l’article 9 du code civil et de l’article 9 du code de procédure civile, la Cour de cassation juge que « le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi. »
Les juges du fond saisis d’une telle question doivent par conséquent rechercher si la communication de ces éléments est nécessaire ou non à l’exercice du droit à la preuve et mesurer la proportionnalité de l’atteinte à un autre droit (Cour de cassation, Chambre sociale, 30 septembre 2020, n°19-12058).
La cour de cassation a ainsi validé la solution de la cour d’appel de Paris, contraignant définitivement l’employeur à dévoiler le traitement salarial des collègues masculins de la plaignante, à l’exception de quelques données personnelles n’ayant aucune incidence sur le droit à la preuve de l’inégalité salariale alléguée.
Cette solution avait été admise dans un arrêt de 2021 (Cour de cassation, Chambre sociale, 22 septembre 2021, n°19-26144). Elle correspond par ailleurs à la méthodologie préconisée en matière de preuve de discrimination. Voici un début de constance bienvenu s’agissant des moyens de preuve disponibles en cas de discrimination ou d’inégalité de traitement !